Mes investissements dans le domaine de la ville m’ont d’abord amené à m’interroger sur les rapports entre urbanisme et réforme sociale. Dans tous les grands pays industriels, s’élabora à partir des années 1880-1890 une série de projets de réforme du logement populaire et de l’environnement urbain, de la santé publique, des systèmes d’assistance et d’encadrement des pauvres, des loisirs ouvriers, du gouvernement municipal : la méthode réformatrice consistait alors à décomposer l’obsédante « question sociale » en éléments distincts traitables séparément, puis élaborer pour chacun d’eux une doctrine, des objectifs, des mesures de politique sectorielle. Avec le début du XXe siècle, les mouvements réformateurs se spécialisèrent et donnèrent parfois naissance à des professions. Ils fournirent une partie importante du personnel des institutions publiques correspondantes à partir de la Première Guerre mondiale, l’entre-deux-guerres étant marqué par le début de la mise en oeuvre à grande échelle du projet réformateur. Dans un premier temps, j’ai abordé ce vaste domaine à partir de la question de l’habitat populaire et de l’émergence de l’urbanisme comme discipline et profession.
Habitat populaire : le projet réformateur dans la période 1905-1925 (France, Grande-Bretagne, Italie et Etats-Unis)
Cette recherche comparative, menée en collaboration avec Susanna Magri, a porté sur la pensée et l’action réformatrices en matière d’habitat populaire au début du XXe siècle dans quatre grands pays industriels. L’étude des origines suggère que ce qui était visé par les réformateurs, c’était un refaçonnement de la vie quotidienne des couches populaires, en particulier des ouvriers. Les propositions qui émergèrent alors reformulaient un projet ancien de « moralisation » dans des termes nouveaux qui impliquaient un changement des conditions de vie et la mise en oeuvre de politiques « scientifiques » dépassant les dispositifs classiques de la répression et de l’assistance. Une des voies essentielles de cette entreprise fut la réforme urbaine, la promotion d’un nouveau logement populaire dans un environnement transformé.
Publications
Susanna Magri et Christian Topalov, « De la cité-jardin à la ville rationalisée : un tournant du projet réformateur. Etude comparative France, Grande-Bretagne, Italie, Etats-Unis », Revue française de sociologie (Paris), vol. 28, n° 3, juillet-septembre 1987, p. 417-451.
(Edition italienne) : « Dalla città-jardino alla città razionalizzata : una svolta del projetto riformatore, 1905-1925 », Storia urbana (Milano), n° 45, 1988, p. 35-76.
(Edition indienne) : « The Rise of Planning Mentality » (en collaboration avec Susanna Magri), in Jean-Pierre Gaudin et Mulkh Raj (eds.), French Studies in Urban Policy : A Survey of Research. London, Sangam Books, Hyderabad, Orient Longman, 1990, p. 29-40.
Susanna Magri et Christian Topalov, « ‘Reconstruire’ : l’habitat populaire au lendemain de la première guerre mondiale. Etude comparative France, Grande-Bretagne, Italie, Etats-Unis », Archives européennes de sociologie (Cambridge), vol. 29, n° 2, 1988, p. 319-370.
Susanna Magri et Christian Topalov, « L’habitat du salarié moderne en France, Grande-Bretagne, Italie et aux Etats-Unis, 1910-1925 », in Yves Cohen et Rémi Baudouï (dir.), Les chantiers de la paix sociale (1900-1940). Fontenay/Saint-Cloud, ENS Editions, 1995, p. 223-253.
Naissance de l’urbanisme moderne : l’expérience américaine, 1900-1940
Cette recherche a développé sous la forme d’une monographie nationale la problématique de la recherche comparative évoquée ci-dessus. Elle a donné lieu à la rédaction d’un travail de synthèse portant sur l’ensemble de la période, que j’ai renoncé à publier sous une autre forme qu’un rapport de recherche à diffusion limitée lorsque j’ai enfin compris que l’histoire s’écrivait avec des archives plutôt que de seconde main. J’avais néanmoins réalisé des recherches originales qui aboutirent à des publications sur quelques points : 1/ les fonctions de la catégorie de « congestion urbaine » dans les diagnostics et prescriptions des réformateurs new-yorkais au moment de la naissance du « city planning » comme discipline ; 2/ les professions et itinéraires sociaux des participants au mouvement pour le « city planning » au moment de sa fondation (1909-1917), étude mettant en lumière les relations entre la constitution d’une profession et le mouvement réformateur qui la soutient et la légitime ; 3/ l’expérience du programme fédéral de construction pour les ouvriers des usines de guerre (1917-1919) ; 4/ les rapports entre secteur public et secteur privé dans la réforme des circuits de financement de l’accession à la propriété qui a permis de faire face à la crise des années 1930 et à faire entrer le logement dans l’ère de la production de masse à partir des années 1940.
Publications
Christian Topalov, « Réforme de l’habitat populaire et naissance de l’urbanisme moderne aux Etats-Unis (1900-1940) », Paris, Centre de sociologie urbaine, 1988, 305 p.
Christian Topalov, « Régulation publique du capitalisme et propriété de masse du logement : la ‘révolution hypothécaire’ des années 1930 aux Etats-Unis », Economie et sociétés (Paris), vol. 22, n° 5, (Série R, n° 3), mai 1988, p. 51-99.
Christian Topalov, « L’urbanistica come movimento sociale : militanti e professionisti dell’urbanistica negli Stati Uniti, 1909-1917 », Storia urbana (Milano), n° 48-49, luglio-dicembre 1989, p. 153-192.
(Edition française abrégée) : « L’urbanisme comme mouvement social. Militants et professionnels du city planning aux Etats-Unis, 1909-1917 », Annales de la recherche urbaine (Paris), n° 44-45, décembre 1989, p. 139-154.
Christian Topalov, « La ville ‘congestionnée’ : acteurs et langage de la réforme urbaine à New York au début du XXe siècle », Genèses (Paris), n° 1, septembre 1990, p. 86-111.
Christian Topalov, « Scientific Urban Planning and the Ordering of Daily Life : The First ‘War Housing’ Experiment in the United States, 1917-1919 », Journal of Urban History (Newbury Park, Ca.), vol. 17, n° 1, November 1990, p. 14-45.