Skip to content

Une sociologie des réseaux réformateurs et scientifiques, fin XIXe-XXe siècle
(depuis 1996)

Ce chantier de longue durée a été engagé en constituant un groupe de chercheurs désireux de contribuer à une sociologie des réformateurs français et de leurs institutions au début de la Troisième République. Cette première recherche a abouti à la publication d’un ouvrage collectif (Laboratoires du nouveau siècle, 1999) qui dessinait un programme de recherche sur les réseaux de la « nébuleuse réformatrice » française de l’époque. Poursuivi ensuite en mineur par la mise en place progressive de grosses bases de données, ce chantier a pris, dans un deuxième temps, la forme d’un projet international portant sur les mondes de la charité à Londres, Paris, New York et Genève (Philanthropes en 1900, 2019). Il se poursuit en s’élargissant à l’ensemble des mondes réformateurs parisiens du tournant du XXe siècle et en s’intéressant particulièrement à la géographie sociale des diverses bourgeoisies où ils se recrutaient.

Les réseaux réformateurs en France, 1880-1914 (1996-1999)

Au fil de mes travaux sur la réforme urbaine et sur la question du chômage, il m’est apparu que les mêmes acteurs étaient présents dans de nombreux autres domaines de l’action réformatrice, sur lesquels les recherches se multipliaient en France au début des années 1990 : on peut citer, dans un désordre volontaire, les sciences sociales et l’urbanisme, la criminologie et les assurances sociales, la philanthropie et la statistique du travail, la lutte contre le chômage et les habitations à bon marché, le municipalisme et le taylorisme, l’économie politique et le mutualisme. Ces travaux, en s’attachant à retracer l’histoire de milieux spécialisés, mettaient en lumière l’existence de multiples points de rencontre entre eux. D’où l’intérêt d’un travail collectif qui permît de rassembler les résultats obtenus par chacun et de réexaminer l’objet à partir de ce nouveau point de vue. Un séminaire de recherche à l’EHESS sur ce thème eut donc pour objectif de contribuer à l’analyse la genèse et la topographie des milieux réformateurs en France dans la période 1880-1914.

Pendant ces quelques décennies fondatrices, dans des domaines très divers de l’action et de la pensée, apparurent de nouvelles représentations de la société et de ses « problèmes », en même temps que de nouvelles méthodes pour les traiter. Les hommes qui étaient engagés dans ces mouvements (contrairement à ce que l’on observe au même moment dans d’autres pays, les femmes étaient ici peu nombreuses) étaient différents par leurs itinéraires sociaux, leurs spécialisations, leurs positions vis-à-vis de la politique. Et cependant, ils avaient un air de famille. Parfois en conflit sur les « solutions », ils étaient en train de redéfinir les « problèmes sociaux » dans des termes qui comportaient, d’un domaine à l’autre, des similitudes remarquables. Cette reformulation devait bientôt devenir le sens commun et constituer le socle de réalisations, notamment, mais pas seulement, de politiques publiques. C’est en ce sens qu’il peut être opératoire de considérer ces acteurs divers sous une même catégorie de « réformateurs ». Sans doute, ils étaient divisés en courants distincts, selon les spécialités ou professions dont ils travaillaient à établir la légitimité, ou selon les orientations confessionnelles et politiques qui étaient les leurs. Néanmoins, ils nouaient entre eux de multiples relations. Se constituait ainsi une « nébuleuse réformatrice » au sein de laquelle, directement ou de proche en proche, tout le monde parlait à tout le monde dans un langage largement commun. Le séminaire avait pour objet l’étude des formes et du recrutement des groupements réformateurs (associations, congrès, revues, institutions d’enseignement, administrations, etc.), l’identification de leurs lieux de rencontre et intersections, la prosopographie des populations concernées et notamment des noyaux dirigeants, la biographie de personnalités-clefs. Les résultats cette réflexion collective, longuement réélaborés, ont pris la forme d’un ouvrage publié en 1999.

Publications

Christian Topalov, « Langage de la réforme et déni du politique. Le débat entre assistance publique et bienfaisance privée, 1889-1903 », Genèses (Paris), n° 23, juin 1996, p. 30-52.

Lien

Christian Topalov, « La notion de réforme et l’analyse des débuts de la IIIe République » (Western Society for French History, 26th Annual Conference, Boston/Lynnfield, Massachusetts, 4-7 novembre 1998). Communication (28 p.)

Christian Topalov (dir.), Laboratoires du nouveau siècle. La nébuleuse réformatrice et ses réseaux en France (1880-1914), Paris, Editions de l’Ecole des hautes études en sciences sociales, 1999, 574 p.

Christian Topalov, « Les ‘réformateurs’ et leurs réseaux : enjeux d’un objet de recherche », in Christian Topalov (dir.), Laboratoires du nouveau siècle. La nébuleuse réformatrice et ses réseaux en France (1880-1914), Paris, Editions de l’Ecole des hautes études en sciences sociales, 1999, p. 11-58.

Christian Topalov, « Investissements réformateurs et formation du champ », in Christian Topalov (dir.), Laboratoires du nouveau siècle. La nébuleuse réformatrice et ses réseaux en France (1880-1914), Paris, Editions de l’Ecole des hautes études en sciences sociales, 1999, p. 355-474.

Réseaux philanthropiques : Londres, Paris, New York et Genève en 1900 (2009-2019)

Le même chantier empirique a été relancé et élargi par la mise en place d’un réseau international de chercheurs intéressés par nos hypothèses. Il a pris forme à la suite d’un colloque tenu à Londres aux Archives Rothschild en 2005 sur la philanthropie européenne. Un projet de recherche en coopération (Europhil) a vu le jour, soumis à l’ANR en 2006 et sélectionné en 2008, qui se proposait d’étudier les réseaux philanthropiques dans quatre grandes villes : Londres, Paris, New York et Genève. Deux capitales politiques et deux capitales économiques, une ville à dominante catholique et trois à dominante protestante en dépit des immigrations, une ville qui n’avait jamais connu d’Église établie, deux où il y en avait une, une autre qui avait entrepris de séparer l’Église dominante de l’État. Fortement interdisciplinaire, le projet était dirigé par Thomas David (Université de Lausanne) et moi-même, la publication finale rassemblant 13 auteurs – dont deux historiens de l’université de Maastricht (Chris Leonards et Nico Randeraad) qui étudièrent les participants aux congrès internationaux sur les questions sociales dans la période 1876-1913.

À l’aube du XXe siècle, les grands pays industriels ont connu un « printemps de la charité » : les œuvres d’intervention de terrain se multipliaient, les sociétés réformatrices étendaient leur champ d’action, les églises, les municipalités et les initiatives privées séculières développaient une vigoureuse émulation. L’avenir était ouvert et ces différents acteurs pouvaient l’envisager chacun à sa manière : les bifurcations des chemins nationaux en matière de politiques sociales étaient encore indécises. Comment se fait-il que ces hommes et ces femmes, en dépit de leurs concurrences et, souvent, de leurs différends confessionnels et politiques, pouvaient s’accorder sur la définition des problèmes à résoudre, certaines méthodes, voire sur une division du travail ? L’étude des réseaux charitables permet d’éclairer cette épineuse question. La charité ou philanthropie est ici définie, à la manière des contemporains eux- mêmes, de façon très ample : elle comprend les œuvres de l’assistance aux pauvres et aux faibles, les patronages et les hôpitaux, les coopératives et mutuelles, les institutions municipales, les œuvres prosélytes des églises, les diverses sociétés réformatrices. L’étude est fondée sur une source principale : les répertoires charitables que, dans chaque ville, compilaient et publiaient des groupes d’acteurs qui avaient entrepris de rationaliser les pratiques charitables, d’organiser la coopération entre les œuvres et voulaient se voir reconnaître comme les représentants de celles-ci.

Publications

Christian Topalov, « Une ‘société civile’ internationale en 1900 ? » (colloque « Actions associatives. Solidarités et territoires », Université Jean Monnet, Saint-Etienne, 18-19 octobre 2001). Communication (10 p.)

Christian Topalov, « French ‘Bienfaisance’ with a British Future : How Did Charity Protagonists Gave Meaning to their Action in the Early 3d Republic (1870-1918) ? » (Workshop « Western European Concepts of ‘Welfare’, ‘Philanthropy’ and ‘Charity’ : Changes in Meaning over Space and Time, c. 1800-1940 », Rothschild Archive, Londres, 10-11 octobre 2005). Communication (13 p.)

(version allemande modifiée) « Verständigung durch Missverständnis : Die britischen Vorbilder klericaler und laizistischer Philanthropen in Frankreich, 1870-1918 », in Rainer Liedtke et Klaus Weber (ed.), Religion und Philanthropie in den europaïschen Zivilgesellschaften. Entwicklungen im 19. und 20. Jahrundert, Paderborn, Ferdinand Schöningh, 2009, p. 158-173.

Christian Topalov, « Philanthropie et réforme comme investissement en France au début de la IIIe République » (« Journées suisses d’histoire 2007 », Société suisse d’histoire, Berne, 15-17 mars 2007). Communication (10 p.)

Stéphane Baciocchi, Thomas David, Lucia Katz, Anne Lhuissier, Sonja Matter et Christian Topalov, « Les mondes de la charité se décrivent eux-mêmes. Une étude des répertoires charitables au XIXe et début du XXe siècle », Revue d’histoire moderne et contemporaine (Paris), vol. 61, n° 3, juillet-septembre 2014, p. 28-66.

Lien

Thomas Depecker, Anne Lhuissier et Christian Topalov, « Des causes et des oeuvres : les lexiques de la bienfaisance à Paris en 1900 », Revue d’histoire de la protection sociale (Paris), 2015/1, n° 8, p. 18-44.

Lien

Stéphanie Ginalski et Christian Topalov, « Le monde charitable représenté : réseaux d’acteurs et ‘concordat charitable’ à Paris en 1900 », Revue d’histoire moderne et contemporaine (Paris), vol. 64, n° 3, juillet-septembre 2017, p. 90-124.

Christian Topalov (dir.), « Paris, ‘capitale de la charité’, fin XIXe siècle ». Histoire urbaine (Paris), n° 52, août 2018. Introduction, p. 5-14.

Christian Topalov, « Les mondes sociaux de la charité parisienne en 1900 », Histoire urbaine (Paris), n° 52, août 2018, p. 91-119.

Christian Topalov (dir.), Philanthropes en 1900. Londres, New York, Paris, Genève, Paris, Créaphis, 2019, 679 p.

Abbaye de Royaumont, décembre 2019

Christian Topalov, « Power and Charity in New York City during the Progressive Era: A Network Analysis », Journal of Interdisciplinary History (Cambridge, Mass.), vol. 50, n° 3, Winter 2020, p. 383-425.

Une sociologie des mondes sociaux de la réforme à Paris en 1900 (depuis 2022)

Après une première expérimentation centrée sur les oeuvres charitables, il s’agissait ensuite de travailler à une sociologie d’ensemble des milieux réformateurs parisiens. Cette étude des institutions et des sociabilités, originale par son ampleur et ses méthodes, vise à décrire de façon globale des mondes sociaux qui sont habituellement abordés à partir d’un domaine d’activité particulier. Beaucoup de travaux existent sur certaines institutions, groupes ou personnalités du monde de la philanthropie et de la réforme sociale, il convient maintenant de tenter d’analyser la « nébuleuse réformatrice » comme telle. Cette ambition est rendue possible par la réunion d’un matériel empirique exceptionnel constitué d’une base de données sur les sociétés réformatrices parisiennes (133 sociétés, 19 000 personnes). Cette base constituée au fil des années – avec la collaboration initiale de Susanna Magri et Françoise Battagliola (CNRS, Cultures et sociétés urbaines) et, tout au long, grâce au travail persévérant et rigoureux d’Efi Markou – a pu être considérée comme opérationnelle en 2022. 

Pour analyser et interpréter ces données massives, on combine les outils de l’analyse de réseau, de la proposopographie et de l’analyse spatiale – toutes techniques qui permettent de varier autant que de besoin l’échelle de l’analyse, des configurations les plus vastes aux petits groupes et aux individus pertinents. Il s’agira d’abord de faire une description d’ensemble des mondes sociaux de la réforme : configuration de la nébuleuse réformatrice (étonnamment compacte à Paris), identification de son centre et de ses périphéries, de ses différenciations internes, des connections privilégiées entre les causes. Une attention particulière sera accordée à la place des sciences sociales dans ces réseaux, au rôle des femmes dans les diverses zones du monde réformateur, à la division genrée des investissements au sein des parentèles comme des associations, aux relations entre divers types de bourgeoisies et inclinaisons politico-confessionnelles. Il s’agira aussi d’étudier la géographie sociale de ces mondes, en développant un programme d’abord expérimenté avec Stéphane Baciocchi en 2014. Notre base de données contient un grand nombre d’adresses de membres des sociétés réformatrices (8000 environ). Elles sont géo-localisées – grâce à un système d’information géographique basé sur la trame viaire parisienne de 1888 (plan du préfet Poubelle), co-produit par l’INED, le CRH et le CMH, intégré ensuite au projet Soduco – préalable à l’analyse de la distribution du monde parisien de la réforme dans l’espace parisien. Au moment opportun, cette bases de données sera mise à la disposition de la communauté scientifique.

Publications

Christian Topalov, « Réforme, science et politique : points de vue croisés sur les conditions morales de la domination », Egypte/Monde arabe (Le Caire), 2019/2, n° 20 (« Alain Roussillon. Mémoire d’Egypte »), p. 37-55.

Lien

Christian Topalov, « Philanthropie, réforme sociale et féminisme en 1900 : un même monde », Travail, genre et sociétés (Paris), n° 47, avril 2022 (« Hommage à Françoise Battagliola »), p. 19-24.

Christian Topalov, « Affaires de famille. Les Siegfried et les Puaux dans les réseaux réformateurs », in Carole Christen (dir.), Jules Siegfried (1837-1922). Négociant international, républicain libéral, réformateur social, Paris, Classiques Garnier, 2024, p. 411-449.

Télécharger